Le savant et le cannibale. La production des savoirs britanniques et français sur l'anthropophagie (XVIIIe-XIXe siècles)
- Cambon, Nicolas (1993-.... ; historien) (2022)
Thèse
Accès restreint
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- 2022TOU20092
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- Le savant et le cannibale. La production des savoirs britanniques et français sur l'anthropophagie (XVIIIe-XIXe siècles)
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- The Scholar and the Cannibal: the production of British and French knowledge on cannibalism (18th-19th Centuries)
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- 15 décembre 2022
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- Cannibalisme
- Anthropophagie
- Anthropologie
- Explorations
- Émotions
- Histoire des savoirs
- Pacifique
- Afrique
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- Cannibalism
- Anthropophagy
- Anthropology
- Explorations
- Emotions
- History of knowledge
- Pacific
- Africa
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Au XVIIIe siècle, l'existence de peuples cannibales nourrit le scepticisme des philosophes européens, voire leur incrédulité. A la fin du XIXe siècle, savants de chambre et explorateurs jugent au contraire que l'anthropophagie serait une pratique répandue chez de nombreuses sociétés amérindiennes, océaniennes ou africaines. Certains considèrent même que les Européens auraient recouru à la consommation de chair humaine à l'époque préhistorique. Pourquoi est-on passé du scepticisme des Lumières à la croyance générale en l’existence d’un cannibalisme ayant concerné ou concernant encore l’humanité entière ? C’est tout l’enjeu de cette recherche que de comprendre comment ont été produites puis consolidées, de l’âge des Lumières à la Belle époque, les connaissances européennes sur le cannibalisme.
Pour répondre à cette question, cette thèse s'appuie sur une étude de la production des savoirs britanniques et français. Dictionnaires généraux, encyclopédies scientifiques, récits de voyages publiés, bulletins de sociétés savantes d'anthropologie ou de géographie et littérature de fiction tracent ainsi les contours du corpus de sources sur lequel s'appuie cette recherche. Il nous permet de remonter la chaîne de construction des connaissances sur le thème, du terrain de l'exploration ou de la mission où les "preuves" sont collectées, au cabinet du philosophe du XVIIIe siècle ou de l'anthropologiste du XIXe qui les analyse et disserte sur la pratique. Durant ces deux siècles, la cartographie des "cannibales" ainsi dessinée s'étend à l'espace Pacifique puis, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, à l'Afrique subsaharienne.
Notre recherche doctorale poursuit une triple approche d'histoire des savoirs, d'histoire des sensibilités et d'histoire des rencontres entre étrangers et autochtones. Il s'agit d'abord de dresser la généalogie de la production des connaissances empiriques et théoriques sur l'anthropophagie ; c'est-à-dire comprendre dans quels contextes ont été démontrés les principaux cannibalismes mentionnés par les contemporains (celui des Maoris, des Fidjiens ou encore des Fangs du Gabon), et identifier les controverses, hypothèses et théories qui en ont découlé. D'autre part, étudier les savoirs sur l'anthropophagie revient à étudier des savoirs portant sur un objet anxiogène. Ce constat pose la question de l'évolution du seuil de tolérance des savants face à cet objet d'étude et de ses répercussions dans leurs questionnements et approches ; au-delà, notre recherche s'intéresse donc au rôle des émotions et des sentiments dans le processus de construction des connaissances. Enfin, les "preuves" ou indices rapportés par les voyageurs de ce temps doivent être recontextualisés au prisme de leurs interactions avec les populations rencontrées. C'est en effet dans le cadre d'échanges entre Européens et Océaniens ou Africains que surgit cette thématique. Son évocation par les autochtones obéit souvent à des intérêts politiques : il s'agit de tenir les nouveaux-venus loin de leur territoire, de leur opposer un rapport de force, ou encore d'orienter leurs explorations en leur signalant des pays habités par de terribles "mangeurs d'hommes". Il ne s'agit pas d'en conclure qu'aucun groupe n'auraient recouru régulièrement - dans des contextes historiques précis - à des actes anthropophages, mais plutôt de montrer que toutes ces connaissances accumulées n'en sont pas moins profondément politiques en leur origine. En jugeant que le "cannibalisme" concernerait de nombreux peuples, explorateurs, missionnaires et savants décontextualisent et dépolitisent les discours et/ou les pratiques de certaines sociétés océaniennes et africaines, faisant de leur supposée consommation humaine une coutume anhistorique qui obéirait à une culture ou à des déterminismes naturels.
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Au XVIIIe siècle, l'existence de peuples cannibales nourrit le scepticisme des philosophes européens, voire leur incrédulité. A la fin du XIXe siècle, savants de chambre et explorateurs jugent au contraire que l'anthropophagie serait une pratique répandue chez de nombreuses sociétés amérindiennes, océaniennes ou africaines. Certains considèrent même que les Européens auraient recouru à la consommation de chair humaine à l'époque préhistorique. Pourquoi est-on passé du scepticisme des Lumières à la croyance générale en l’existence d’un cannibalisme ayant concerné ou concernant encore l’humanité entière ? C’est tout l’enjeu de cette recherche que de comprendre comment ont été produites puis consolidées, de l’âge des Lumières à la Belle époque, les connaissances européennes sur le cannibalisme.
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- In the 18th century, the existence of cannibals fueled the skepticism of European philosophers, even their disbelief. At the end of the 19th century, scholars and explorers judged on the contrary that anthropophagy would be a widespread practice among many Amerindian, Oceanian or African societies. Some even considered that Europeans would have eaten human flesh in prehistoric times. Why did we go from the scepticism of the Enlightenment to the general belief in the existence of cannibalism that had concerned or still concerned at the 19th century the whole of humanity? This research aims to understand how European knowledge about cannibalism was produced and consolidated from the Enlightenment to the Belle Epoque. To answer this question, this PhD relies on a study of the production of British and French knowledge about anthropophagi. General dictionaries, scientific encyclopedias, published travel accounts, reviews of learned societies of anthropology or geography and fictional literature outline the corpus of sources on which our research is based. It allows us to trace the chain of construction of knowledge on the theme, from the field of exploration or the mission where the "proofs" were collected, to the cabinet of the 18th century philosopher or the 19th century anthropologist who analyzed them and discussed the practice. During these two centuries, the cartography of "cannibals" thus drawn extended to the Pacific area and then, from the second half of the 19th century, to sub-Saharan Africa. Our doctoral research pursues a triple approach of history of knowledge, history of emotions and senses, and history of encounters between foreigners and natives. First, it is a question of drawing up the genealogy of the production of empirical and theoretical knowledge on anthropophagy; that is to say, understanding in which contexts the main cannibalisms mentioned by contemporaries (that of the Maoris, the Fijians or the Fangs of Gabon) were demonstrated, and identifying the controversies, hypotheses and theories that resulted from them. On the other hand, studying knowledge about anthropophagy means studying knowledge about an anxiety-provoking object. This observation raises the question of the evolution of the tolerance limit of scholars in front of this object of study and of its repercussions in their questioning and approaches ; on the whole, our research is interested in the role of emotions and feelings in the process of knowledge construction. Finally, the "evidence" or clues reported by the travelers of this time must be recontextualized in the light of their interactions with the populations they encountered. It is indeed in the context of exchanges between Europeans and Oceanians or Africans that this theme emerged. Its evocation by the natives often obeyed political interests: it is a question of keeping the newcomers far from their territory, of opposing them a balance of power, or even of directing their explorations by pointing out to them countries inhabited by terrible "man-eaters". It is not a question of concluding that none group would have regularly resorted - in precise historical contexts - to anthropophagic acts, but rather of showing that all this accumulated knowledge was nonetheless profoundly political in its origin. By judging that "cannibalism" concerned many peoples, explorers, missionaries and scholars decontextualized and depoliticized the discourses and/or practices of certain Oceanic and African societies, making their supposed human consumption an anhistorical custom that obeyed a culture or natural determinism.
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Citation bibliographique
Cambon, Nicolas (1993-.... ; historien) (2022), Le savant et le cannibale. La production des savoirs britanniques et français sur l'anthropophagie (XVIIIe-XIXe siècles) [Thèse]