Le soupçon et le reproche. Les dessous normatifs de la prévention de la radicalisation et de la lutte contre le séparatisme (2014-2022)
- Bounaga, Aïcha (1993-.... ; docteure en sociologie) (2023)
Thèse
Accès restreint
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- Le soupçon et le reproche. Les dessous normatifs de la prévention de la radicalisation et de la lutte contre le séparatisme (2014-2022)
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- Suspicion and reproach: the normative underpinnings of radicalization prevention and combating separatism (2014-2022)
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- 21 septembre 2023
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- Prévention de la radicalisation
- Séparatisme
- Islamophobie
- Islam de France
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- Prevention of radicalization
- Separatism
- Islamophobia
- French Muslim
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À partir de 2014, l’État français met en place une variété de mesures visant à prévenir la radicalisation d’inspiration islamique. Cette politique publique donne simultanément lieu à une importante littérature de sciences sociales, soit sous la forme de commandes publiques en vue de la formalisation des signes annonçant la dérive radicale, soit à dévoiler de manière critique les aboutissements sécuritaires auxquels n’a de cesse de conduire la lutte contre la radicalisation. L’étude qui suit s’attache cependant à un pan non questionné de ces mesures et dispositifs institutionnels, c’est-à-dire l’éthique et la diversité des énoncés normatifs qui les sous-tendent. Si la menace de la violence politico-religieuse est en effet en toile de fond des mesures et des discours de la prévention de la radicalisation, cette séquence historique est également celle d’une profusion de prescriptions quant à la bonne manière de vivre sa vie au sein de la société libérale et séculière.
À cet effet, différentes enquêtes menées au sein d’une région du Sud de la France permettent de restituer la normativité qui est ainsi à l’œuvre dans la prévention de la radicalisation : par le biais d’entretiens avec des membres de corps préfectoraux, d’autres avec des travailleurs sociaux de diverses structures associatives mobilisées par la commande publique et des imams également appelés à produire une norme de modération religieuse, par l'analyse de la littérature officielle, et l'observations de colloques et de sessions de formation et analyse de contenus audiovisuels.
La thèse examine d’abord comment la prévention de la radicalisation crée les conditions de possibilités de formulation de normes, notamment à travers la mobilisation de pans divers de la société, dont l’université, le travail social, ou encore la sphère religieuse. Ce travail offre une analyse approfondie de la place du genre dans la prévention de la radicalisation qui se définit comme étant fondamentalement liée à la cause des inégalités entre hommes et femmes, en particulier celles dont les fondements seraient religieux. La prévention de la radicalisation est en effet le moment d’une formulation implicite des normes de genre dans la société française, qui définissent ce que serait une bonne féminité (notamment à travers la description des femmes radicalisées comme femmes déviantes car déviant de leur féminité naturelle). Outre la lutte contre les inégalités de genre, les discours de la prévention de la radicalisation en font également un enjeu de lutte contre les discriminations, notamment raciales. La définition spécifique du racisme et de l’antiracisme portée par la prévention de la radicalisation présente le problème des discriminations raciales comme un facteur possible de déviance radicale, et non comme un problème en soi. L’expérience de la discrimination pourrait en effet, selon cette perspective, amener à l’adoption d’une « posture victimaire » ou bien à une prise de distance de la victime de racisme vis-à-vis de la nation française - ce qui pourrait être au principe de velléités violentes. Enfin, cette thèse propose également une analyse du passage d’une politique de prévention à une politique de répression, caractérisé par l’abandon de certaines caractéristiques normatives de la prévention de la radicalisation, notamment la pratique du signalement, la stratégie de contre-discours, la caractérisation des individus déviants comme victimes, la mobilisation des savoirs et des pratiques relevant du travail social et de la psychologie, ainsi que la participation des acteurs religieux et des chercheurs. La lutte contre le séparatisme se base plutôt sur une normativité répressive qui ne vise plus réintégrer des individus à déviants à une norme nationale.
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À partir de 2014, l’État français met en place une variété de mesures visant à prévenir la radicalisation d’inspiration islamique. Cette politique publique donne simultanément lieu à une importante littérature de sciences sociales, soit sous la forme de commandes publiques en vue de la formalisation des signes annonçant la dérive radicale, soit à dévoiler de manière critique les aboutissements sécuritaires auxquels n’a de cesse de conduire la lutte contre la radicalisation. L’étude qui suit s’attache cependant à un pan non questionné de ces mesures et dispositifs institutionnels, c’est-à-dire l’éthique et la diversité des énoncés normatifs qui les sous-tendent. Si la menace de la violence politico-religieuse est en effet en toile de fond des mesures et des discours de la prévention de la radicalisation, cette séquence historique est également celle d’une profusion de prescriptions quant à la bonne manière de vivre sa vie au sein de la société libérale et séculière.
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Starting from 2014, the French government has implemented a variety of measures aimed at preventing Islamic-inspired radicalization. This public policy has simultaneously led to a significant body of social science literature, either in the form of commissioned work to formalize signs indicating radical drift or in critically exposing the security outcomes that the fight against radicalization incessantly leads to. However, the following study focuses on an unquestioned aspect of these measures and institutional mechanisms, namely the ethics and diversity of normative statements underlying them. While the threat of political-religious violence is indeed the backdrop of prevention measures and discourses against radicalization, this historical sequence is also characterized by a proliferation of prescriptions concerning the proper way of living within liberal and secular society. To this end, various investigations conducted in a region in the south of France shed light on the normativity at play in the prevention of radicalization, through interviews with members of prefectural bodies, social workers from various associative structures mobilized by public mandates, as well as imams called upon to produce norms of religious moderation, analysis of official literature, observations of conferences and training sessions, and analysis of audiovisual content.
This thesis examines how the prevention of radicalization creates the conditions for the formulation of norms, particularly through the mobilization of various sectors of society, including academia, social work, and the religious sphere. This work provides an in-depth analysis of the role of gender in the prevention of radicalization, which is fundamentally linked to the issue of inequalities between men and women, especially those rooted in religious foundations. Indeed, the prevention of radicalization implicitly formulates gender norms in French society, defining what constitutes "good femininity" (particularly through the portrayal of radicalized women as deviant because they deviate from their natural femininity). In addition to the fight against gender inequalities, the discourses of radicalization prevention also frame it as a struggle against discrimination, particularly racial discrimination. The specific definition of racism and anti-racism promoted by the prevention of radicalization presents racial discrimination as a possible factor of radical deviation, rather than as a problem in itself. According to this perspective, the experience of discrimination could lead to the adoption of a "victim stance" or distance from the French nation on the part of the victim of racism, which could potentially give rise to violent tendencies. Finally, this thesis also offers an analysis of the transition from a prevention policy to a repression policy, characterized by the abandonment of certain normative features of radicalization prevention, including the practice of reporting, counter-discourse strategies, the characterization of deviant individuals as victims, the mobilization of knowledge and practices from social work and psychology, as well as the involvement of religious actors and researchers. The fight against separatism is instead based on a repressive normativity that no longer seeks to reintegrate deviant individuals into a national norm.
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Starting from 2014, the French government has implemented a variety of measures aimed at preventing Islamic-inspired radicalization. This public policy has simultaneously led to a significant body of social science literature, either in the form of commissioned work to formalize signs indicating radical drift or in critically exposing the security outcomes that the fight against radicalization incessantly leads to. However, the following study focuses on an unquestioned aspect of these measures and institutional mechanisms, namely the ethics and diversity of normative statements underlying them. While the threat of political-religious violence is indeed the backdrop of prevention measures and discourses against radicalization, this historical sequence is also characterized by a proliferation of prescriptions concerning the proper way of living within liberal and secular society. To this end, various investigations conducted in a region in the south of France shed light on the normativity at play in the prevention of radicalization, through interviews with members of prefectural bodies, social workers from various associative structures mobilized by public mandates, as well as imams called upon to produce norms of religious moderation, analysis of official literature, observations of conferences and training sessions, and analysis of audiovisual content.
Citation bibliographique
Bounaga, Aïcha (1993-.... ; docteure en sociologie) (2023), Le soupçon et le reproche. Les dessous normatifs de la prévention de la radicalisation et de la lutte contre le séparatisme (2014-2022) [Thèse]