Le vide : source et souffle de la création Regards chromatiques et spatiaux
- Portais, Alexie (2017)
Mémoire
Accès restreint
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Le vide : source et souffle de la création
Regards chromatiques et spatiaux
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Le vide : source et souffle de la création
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- 29 mai 2017
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Alors que je vais débuter mon mémoire par une notion peu conventionnelle j’en conviens, je tâche de replonger dans mes souvenirs. J’essaie de rassembler des bribes d’images de la première fois où j’ai ressenti cette peur. Celle d’être enfermée, de ne plus pouvoir être maîtresse de mes mouvements, de ne pas pouvoir déambuler à ma convenance, tout simplement de ne pas pouvoir me sentir libre. Je ne saurais dire quand cela a débuté, je sais simplement que cette sensation m’étreint à chaque fois que je me sens trop oppressée, que je me sens prisonnière dans des espaces trop petits ou trop remplis. Dans ces moments-là, je ressens le besoin vital de me rattacher à un espace plus vacant, que ce soit physiquement si je le peux, ou bien en établissant un contact visuel. C’est ainsi que je viens vous conter le rapport que j’entretiens avec le vide spatial de manière très personnelle. Parler de la claustrophobie, afin de parler de mon ressenti face au trop plein qui nous entoure dans certains espaces de vie en commun, dans une ère où le matériel prédomine, laissant de moins en moins de place au vide.
Toute cette démarche partirait donc d’une peur ? Non, car finalement je me rends compte que tout se rejoint, je comprends que cette thématique du vide se révèle comme un ensemble qui me réunit moi, à la fois comme conceptrice mais aussi comme personne, et c’est ce qui me permet d’engager ce regard. Pourtant, quelle chose singulière que de s’attacher à parler du vide lorsque l’on est designer d’espace. Je me suis longtemps demandée pourquoi j’avais choisi ce sujet, moi qui suis dans un domaine qui de prime abord étudie le plein, le construit, et le détruit pour mieux le rebâtir. Je me rends compte que ce projet n’est pas si paradoxal que ça, car tant d’un point de vue conceptuel que matériel, le vide est ce qui permet la compréhension de «l’autre», de «l’à-côté», de ce qui est moins visible et moins immédiat. Et c’est de cette manière que je fonctionne en tant que conceptrice pour mener à bien mes projets. Je viens puiser dans une source d’inspiration défocalisée, est présente dans le vide et sa pluralité, et qui me permets de mieux créer.
Lorsque je parle du vide en tant que source de création, je tiens à le dissocier d’une inspiration à connotation divine comme celle qui figure dans la Bible:
« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.
La terre n'était que chaos et vide.
Il y avait des ténèbres à la surface de l'abîme
et l'Esprit de Dieu planait au-dessus de l'eau.
Dieu dit: «Qu'il y ait de la lumière!» et il y eut de
la lumière. Dieu vit que la lumière était bonne,
et il sépara la lumière des ténèbres.
Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres nuit.
Il y eut un soir et il y eut un matin.
Ce fut le premier jour. »
Dans le monde biblique, le vide est l’entité présente avant la création du monde. C’est d’elle, et aussi du chaos, que tout vient naître. Le vide est donc un réceptacle et un commencement qui mène à la création. On se rend compte qu’ici le vide est en réalité entendu comme un «rien». Comme un manque de vie, de présence, de lumière, de ténèbres, comme l’absence de tout ce que l’on connaît nous en tant qu’êtres humains. Le vide a tendance à être associé à cette absence et cette sorte d’insipidité. Dans l’imaginaire commun, le vide revêt un aspect plutôt péjoratif. Il est entendu comme creux, comme inutile et cela encore plus dans notre société occidentale.
On retrouve la notion de peur du vide dès l’antiquité, exprimée par la célèbre citation du philosophe Aristote (384-322 av. J.-C.) :
« La nature a horreur du vide ».
Dans cette citation toujours très présente aujourd’hui, on retrouve cette idée que le vide est finalement contre-nature, qu’il ne devrait pas exister. De manière presque sous-jacente, on comprend que l’on se doit de le combler. Pourtant, un penseur et physicien oppose son regard sur le vide à celui d’Aristote, il s’agit de Blaise Pascal. Il s’est appuyé sur une expérience scientifique réalisée par l’italien Evangelista Torricelli au XVII ème siècle qui a démontré l’existence du vide. Suite à la réussite de cette expérience, Blaise Pascal écrit ceci :
« Mon cher lecteur, le consentement universel des peuples et la foule des Philosophes concourent à l’établissement de ce principe, que la Nature souffrirait plutôt sa destruction propre, que le moindre espace vide. Quelques esprits des plus élevés en ont pris un plus modéré, car encore qu’ils aient cru que la nature a horreur pour le vide, ils ont néanmoins estimé que cette répugnance avait des limites, et qu’elle pouvait être surmontée par quelque violence ; mais il ne s’est encore trouvé personne qui ait avancé ce troisième : que la nature n’a aucune répugnance pour le vide, qu’elle ne fait aucun effort pour l’éviter, et qu’elle l’admet sans peine et sans résistance. »
Tout cela nous amène finalement aux différentes définitions du vide telles qu’elles sont données dans nos dictionnaires actuels. Voici les définitions du vide sur plusieurs terrains :
Adjectif : « Qui ne contient rien de concret; p. ext., qui est dépourvu de son contenu. Anton. empli, plein, rempli. »
Mathématiques : « Ensemble vide. Ensemble ne contenant aucun élément. »
Philosophie ancienne : « [En parlant de l'espace] Inoccupé par la matière. (Dict. xixeet xxes.). »
Linguistique : « Mot vide. Mot qui n'est pas chargé d'une fonction sémantique, dont le rôle est uniquement d'indiquer, de préciser ou de transformer la catégorie des mots pleins et de régler leurs rapports entre eux (d'apr. Tesn. 1965, p. 53). »
Informatique : « Qui caractérise une information nulle, dont il ne faut pas tenir compte ou non porteuse de sens`` (Bureau 1972). »
Sciences-Physiques : « Vide absolu, parfait. Espace clos dépourvu de matière. Il est impossible d'obtenir un vide parfait, puisque la matière qui entoure l'espace considéré y exerce une pression de vapeur définie, aussi emploie-t-on généralement ce terme pour désigner un espace qui contient de l'air ou un autre gaz à très basse pression (Uv.-Chapman 1956). »
En lisant ces différentes définitions, on retrouve une fois encore une sémantique péjorative associée aux différents vides. Si l’on reprend les mots employés pour le caractériser, le vide serait finalement «rien de concret », « inoccupé par la matière » « non porteur de sens ». Pourtant le vide tel que je l’entends est infiniment plus complexe et multi-identitaires que cela. Il n’est pas que l’absence, que l’information nulle, il n’est pas inapte et désuet de sens. Il peut-être représentatif de la neutralité si l’on se rapporte à la définition linguiste vue un peu avant. Dans cette optique, le vide est ce qui aide à faire du lien - et nous allons le voir tout au long de ce mémoire. Si l’on revient sur cette notion de « neutre » on peut parler de la définition au sens dialectique qu’en fait Roland Barthes : « Le neutre (…) est « ce qui déjoue le paradigme. » », c’est à dire qui déjoue un modèle qui se veut type. Le neutre pour lui fait aussi office d’entité qui lie les éléments.
Le vide est également matriciel et opérant, à l’image de la chôra de Platon. Bien que cette dernière notion soit relativement complexe et qu’on ait pu lui attribuer plusieurs significations, une interprétation m’interpelle :
« Ainsi donc empreinte et matrice, à la fois une chose et son contraire, la chôra n’a littéralement pas d’identité. L’on ne peut pas s’en faire idée. Platon reconnaît qu’une telle chose est « difficilement croyable » (mogis piston, 52 b 2), et qu’« en la voyant, on la rêve » (oneiropoloumen blepontes, 52 b 3) ; mais il insiste sur son existence : dans la mise en ordre (la cosmisation) de l’être, il y a bien, dès le départ et à la fois, l’être véritable, sa projection en existants, et le milieu où cette projection s’accomplit concrètement en deventir, c’est-à-dire la chôra. Soit dans le texte platonicien : on te kai chôran te kai genesin einai, tria trichê, kai prin ouranon genesthai (52 d 2), « il y a et l’être, et le milieu et l’existant, tous trois triplement, et qui sont nés avant le ciel » (c’est-à-dire avant la mise en ordre du kosmos, qui dans le Timée est identifié à l’ouranos). »
Cette interprétation ci-dessus m’évoque déjà un aspect du vide que je peux mettre en relation avec la chôra . Cette dernière est une entité qui est compliquée à définir et qui pourtant influe sur les éléments, sur l’espace mais aussi sur la personne - au même titre que le vide. Pour moi, celui-ci est présent partout et confère un sens et une lecture à tous espaces, objets ou toutes pensées. C’est en partant de ce postulat de départ que je vais tâcher de découvrir comment et par quels moyens le vide fait office de ressource, à la fois créatrice et spatiale, et comment sensibiliser à cela. Comment le vide qui me sert de de base d’imaginaire, de terreau à la création dans le domaine du design d’espace peut se manifester et quelles sont ses modalités d’existence?
Afin de répondre à ces questions je vais d’abord explorer les différents types de territoires du vide, depuis ses différentes représentations jusqu’à la conquête spatiale. Cela qui va me permettre de comprendre le vide et de l’appréhender en tant que ressource spatiale. Grâce à cela je vais tâcher de comprendre la manière dont on vit l’espace et le vide, en ouvrant à des questionnements qui mettent en avant des enjeux sociaux et culturels. Finalement, au regard de ces différentes explorations, je voudrais vous faire voyager dans les aspects sensibles du vide, au travers de son langage chromatique, pictural et de sa matérialité poétique.
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Alors que je vais débuter mon mémoire par une notion peu conventionnelle j’en conviens, je tâche de replonger dans mes souvenirs. J’essaie de rassembler des bribes d’images de la première fois où j’ai ressenti cette peur. Celle d’être enfermée, de ne plus pouvoir être maîtresse de mes mouvements, de ne pas pouvoir déambuler à ma convenance, tout simplement de ne pas pouvoir me sentir libre. Je ne saurais dire quand cela a débuté, je sais simplement que cette sensation m’étreint à chaque fois que je me sens trop oppressée, que je me sens prisonnière dans des espaces trop petits ou trop remplis. Dans ces moments-là, je ressens le besoin vital de me rattacher à un espace plus vacant, que ce soit physiquement si je le peux, ou bien en établissant un contact visuel. C’est ainsi que je viens vous conter le rapport que j’entretiens avec le vide spatial de manière très personnelle. Parler de la claustrophobie, afin de parler de mon ressenti face au trop plein qui nous entoure dans certains espaces de vie en commun, dans une ère où le matériel prédomine, laissant de moins en moins de place au vide.
Citation bibliographique
Portais, Alexie (2017), Le vide : source et souffle de la création Regards chromatiques et spatiaux [Mémoire]