Lieux et autres lieux de la pensée. Langage et espace dans la philosophie des années 60 de Michel Foucault.
- Kandel, Anna (2017)
Mémoire
Accès libre
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- Lieux et autres lieux de la pensée. Langage et espace dans la philosophie des années 60 de Michel Foucault.
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- septembre 2017
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- Michel Foucault
- hétérotopie
- espace du langage
- langage de l'espace
- finitude
- fiction
- philosophie transcendantale
- pensée du dehors
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Michel Foucault situe le lieu de naissance des Mots et les Choses dans un texte de Borges qui cite « une certaine encyclopédie chinoise » où il est écrit que « les animaux se divisent en : a) appartenant à l'empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i) qui s'agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau, l) et caetera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches ». C'est dans l'expérience de « l'impossibilité nue de penser cela » que Foucault débute son « archéologie des sciences humaines ». D'emblée, la démarche archéologique de Foucault se place à l'intérieur d'un questionnement sur la possibilité ou l'impossibilité de la pensée.
Depuis qu'elles existent, c'est-à-dire depuis le seuil de l'âge moderne, au tournant du XVIII° et du XIX° siècle, L'objet d'étude des sciences humaines c'est l'homme, cet être vivant, travaillant, parlant, qui possède cette étrange capacité de se représenter la vie, le travail, le langage, ces trois domaines empiriques qui le constituent. L'objet propre des sciences humaines c'est cette reprise, par l'homme, des contenus des savoirs positifs, dans l'espace de ses mots. On peut dire que l'implicite des sciences de l'homme c'est la subjectivité de l'homme qui constitue, par la possibilité de la représentation, la possibilité du savoir lui-même à l'époque moderne. Or, la certaine encyclopédie chinoise de Borges se présente comme une taxinomie impensable. Ce texte de Borges manifeste les limites de notre pensée. Il y a donc un apparent paradoxe à ce que ce soit l'expérience des limites et de l'impossibilité de la pensée qui ouvre pour Foucault son étude sur conditions de possibilité des sciences humaines comprises comme études justement de la possibilité de l'homme de se donner des représentations, de penser, de connaître.
L'entreprise archéologique de Foucault se présente donc de prime abord comme l'étude des conditions de possibilité du savoir moderne, à partir de certaines expériences limites qui marquent au contraire l'échec de tout savoir, de tout discours, de toute pensée. Il conviendra alors de comprendre ce curieux tour de pensée, où la pensée n'est plus reconduite au seul espace positif de sa constitution mais aussi à ses conditions négatives - comme l'exclusion, la ruine, l'effritement, l’asignifiance – qui en constituent la limite.
L'hétérotopie de Borges, ou encore l'expérience langagière de certains aphasiques sont pour Foucault de telles expériences de l'impossibilité, de la ruine, de l'insignifiance etc. Tout comme la mort, le cadavre, constituaient pour Foucault les conditions négatives, les limites à partir desquelles il a pu constituer son archéologie du regard médical dans Naissance de la clinique.
L'archéologie foucaldienne est donc la recherche, non seulement des conditions positives de constitution d'un savoir, mais aussi de ses conditions négatives. Ainsi tout savoir, toute pensée n'est possible qu'à partir d'un « sol » positif, d'un espace de cohérence, d'un réseau ordonnateur et secret, en un mot, d'un a priori historique. Cet a priori historique, fixe d'entrée de jeu, pour une culture, le mode d'être spontané de l'ordre au sein duquel elle devra penser. Seulement, certaines expériences limites, comme l'hétérotopie de Borges, inquiètent non seulement le mode d'être de l'ordre, mais le fait même l'«il y [ait] de l'ordre ». Si bien que non seulement les modes d'être historiques de l'ordre mais même le fait brut qu'il y a de l'ordre sont inquiétés. Ces expériences limites, qui sont pour Foucault des expériences langagières -les hétérotopies, les langages de la folie, la pensée du dehors etc.- ont une portée heuristique, puisqu'elles ont amené le philosophe à repenser radicalement la question transcendantale des conditions de possibilité de l'ordre, de la pensée, du discours, et de la discontinuité historique. L'ordre apparaît alors comme la condition même de la pensée et du discours, mais lui-même peut se nouer et se dénouer, se constituer et s'évanouir, formant par ses transformations, l'histoire discontinue des cultures et des époques culturelles. Nous serons alors conduits à étudier à la fois comment l'ordre se noue positivement en époque historique du savoir et à voir comment Foucault, pense la rupture d'un ordre, l'irruption d'un ordre autre qui a toujours à voir avec un certain être du langage. Comment la discontinuité historique est-elle comprise comme un certain rapport au langage et à l'espace ?
L'histoire discontinue que nous livre l'archéologie foucaldienne dessine des systèmes de simultanéités qui sont autant d'articulations différenciées du langage et de l'espace. Autant le tableau à l'âge classique, que la fragmentation de l'espace de savoir chez les modernes sont des modes d'articulation spécifiques du langage et de l'espace. L'homme lui-même ne serait qu'une certaine disposition de l'espace et du langage. C'est donc dans un certain champ lexical de l'espace et du langage -L'écart, la distance, l'intermédiaire, la dispersion, la fracture, la fiction, la syntaxe, etc. que Foucault a formulé sa pensée de l'histoire et des conditions de possibilité de la pensée et du savoir. Il conviendra alors de montrer comment Foucault renouvelle, hors de toute anthropologie, la philosophie transcendantale à partir d'une pensée du langage et de l'espace.
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Michel Foucault situe le lieu de naissance des Mots et les Choses dans un texte de Borges qui cite « une certaine encyclopédie chinoise » où il est écrit que « les animaux se divisent en : a) appartenant à l'empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i) qui s'agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau, l) et caetera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches ». C'est dans l'expérience de « l'impossibilité nue de penser cela » que Foucault débute son « archéologie des sciences humaines ». D'emblée, la démarche archéologique de Foucault se place à l'intérieur d'un questionnement sur la possibilité ou l'impossibilité de la pensée.
Citation bibliographique
Kandel, Anna (2017), Lieux et autres lieux de la pensée. Langage et espace dans la philosophie des années 60 de Michel Foucault. [Mémoire]